“Home is here and now”. Et tout se termine ainsi par là où tout a commencé. A la maison, dans l’intimité. Après un long détour, dans l’immensité.
C’est dans un magnifique voyage onirique de 1h20 dont on a peine à en revenir que la chorégraphe Carolyn Carlson nous mène à vivre l’instant présent dans ses soubresauts, ses égarements, ses balbutiements. Inspiré d’oeuvres de Gaston Bachelard, Rudolf Steiner et John Berger, l’appel métaphysique n’y est jamais très loin pour regarder à nouveau à travers le prisme du moment présent. Les tableaux s’enchaînent ainsi tantôt heurtés par la mécanique d’un quotidien décompté, tantôt libérés dans leur fluidité au contact de l’autre et de la Nature. Les souvenirs de vie se cherchent, les instants se croisent et se connectent dans une incertitude branlante, l’urgence frémit dans cette quête de vivre le hic et nunc.
Dans cette confrontation portée par sept danseurs d’origine japonaise, finlandaise, italienne, et française, les corps balancés se choquent et s’entrechoquent dans des rencontres inopinées avant d’être ballottés dans une nouvelle solitude, comme dépossédés d’eux-même, écartelés par les mouvances du temps qui les presse. La musique chuchotante de René Aubry épouse parfaitement leurs mouvements dans une ambiance nostalgique. L’instant y est frémissant, palpitant dans l’attente. On y retrouve alors la théâtralité des personnages fragiles de Pina Bausch mêlés à l’absurdité des échanges de Mats Ek où la rupture brutale est de mise pour couper court aux échos répétés.
Car avec Carolyn Carlson, on est dans une oscillation constante. De l’espace fermé de la maison abandonnée aux espaces ouverts de la nature dont les projections vidéo finissent par envahir la scène. De la mise en action des corps à l’arrêt sur image ordonné par le narrateur. Du contrôle du mouvement enduit dans son rythme machinal au relâchement d’un corps vidé de son suc. Du choc de la rencontre au choc de la solitude. Du ton délicat au ton déchiré. De l’envol à la chute. Du tic au tac.
“Le temps passe / Je ne sais pas où je vais / mais j’avance…”. Et nous qui sommes-nous dans tout ça? Juste des ombres sans nom qui passent… Telle cette femme derrière sa fenêtre qui repasse sans arrêt contemplant le flux. Le temps qui passe.
Faustine Besançon
Crédits photos : Patrick Berger.